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Un soir que nous étions réunis en conseil municipal à l'orée du mandat de M. Frédéric Chéreau, celui-ci nous annonça tout à trac l'embauche d'un mystérieux "collaborateur chargé des relations entre les élus", au salaire à jamais demeuré clandestin.

Outre que l'origine de l'homme dont il s'agissait, qui nous venait du cabinet de l'ancien maire socialiste d'Hénin - Beaumont, ne présageait guère d'inoubliables talents, nous ne comprenions que très difficilement comment une majorité composée de 31 élus hors le maire pouvait avoir besoin d'un collaborateur chargé de veiller sur leurs relations...

En plein doute, j'avais demandé à M. Chéreau s'il fallait y voir la marque du peu de confiance qu'il avait en les qualités de ses propres élus, et s'il se considérait à la tête d'une équipe de bras cassés à qui un tuteur serait indispensable...

Que n'avais-je osé là ! La majorité comportait une avocate, Maître Nadia BONY, femme intelligente et de caractère, mais femme avocate, c'est-à-dire lorsque cela l'arrange de la plus parfaite mauvaise foi. Et Maître Nadia BONY d'entonner le grand air de la calomnie, j'avais commis l'irréparable,  méprisé ses collègues jusqu'à les injurier. Elle fut si convaincante dans sa feinte indignation qu'elle en persuada quelques-uns, qui me battirent froid pendant plusieurs semaines.

Au moins en fut-elle récompensée, promue adjointe au Maire quelques temps plus tard, succédant à une élue dont nous n'avons jamais bien compris en quoi elle avait démérité... et jamais je n'osai le demander, de crainte de m'entendre infliger de nouveaux tremoli scandalisés.

C'est ainsi qu'en enfonçant un index vigoureux sur l'interrupteur nucléaire Maître Nadia BONY parvint-elle à nous museler : jamais en quatre années de mandat nous n'avons osé émettre le plus infime doute sur aucune des compétences de nos élus majoritaires, qui sont universelles puisqu'ils bénéficient à eux tous réunis de pas moins de ... 31 délégations, excusez du peu; il faut bien en effet un collaborateur de cabinet chargé à plein temps de coordonner le produit de 31 fulgurances.

Tout au plus avons-nous relevé qu'ils étaient payés bien chers pour des délégations parfois assez  malaisées à cerner, mais M. le Maire nous asséna en retour qu'il fallait être payé pour être motivé. Il ne nous a pas semblé pourtant que moins payés nous étions moins motivés... Et M. le Maire de ne visiblement rien comprendre à la remarque que je lui faisais que pour un socialiste, considérer le pognon comme seul moteur dans la vie était pour le moins désolant. De même qu'il jugea tout naturel que son adjoint aux affaires sociales louât des logements quasiment insalubres à de pauvres gens qu'en panique il alla réinstaller à l'autre extrémité de l'arrondissement. S'il manque quelque chose dans cette majorité, et j'ose affronter les foudres prévisibles de Maître Nadia BONY, c'est peut-être un soupçon d'empathie.

Tout récemment, on nous annonça que cette fois on allait recruter, après plus de quatre ans de mandat, un "city manager" (parce que lorsqu'on est capitale du Parlement des Flandres, on n'y cause que franglais) ; nous aurions pu demander à quoi donc servait l'adjoint au commerce, mais Maître Nadia BONY frémissait déjà; nous nous bornâmes à le penser très fort, si fort qu'on aurait pu l'entendre si l'on n'avait été sourd à nos bassesses insignes.

Au demeurant, ledit adjoint au commerce, qui n'est pas le premier manant venu, puisqu'il est le premier des adjoints, trouve toujours à s'occuper utilement : lorsqu'il ne supplante pas son collègue de l'urbanisme dans des commissions dont il n'est pas membre, il s'affaire à veiller sur d'autres sommets d'importance... C'est ainsi que le mois dernier, un commerçant récemment installé dans une rue autrefois prospère me dit "quand je me suis installé, j'espérais qu'il me donnerait des conseils; il m'a écrit pour me dire que je mettais mes poubelles au mauvais endroit." On le voit, ses horizons sont vastes.

M. Daniel SELLIER, puisqu'il nous faut bien le nommer, est en outre un homme entreprenant; lorsqu'il ne surveille pas les poubelles, il serre les mains avec bonhomie : tout commerçant a reçu sa visite, une fois au moins, avant qu'à la première contrariété, c'est-à-dire au premier doute émis, à quelque regret de travaux intempestifs et ruineux ou du déclin commercial de notre ville M. l'adjoint au maire -et le premier d'entre eux- ne disparaisse soudain, ombre furtive traversant la chaussée pour s'assurer de n'être pas happé furieusement en s'aventurant devant la vitrine d'un commerçant mécontent.

Si l'on veut se donner une idée assez fidèle des vastes desseins de M. Daniel SELLIER, qu'on rende donc visite à la librairie "La Charpente", sise rue de la Mairie, dont le rideau sera clos à jamais le 24 décembre prochain après une ultime facétie de l'admirable M. SELLIER.

A l'ouverture, on fit fête à ce havre d'échange et de culture; j'y ai croisé le maire, qui m'a donné un samedi de brillants conseils de lecture, quelques adjoints aussi, ainsi que des élus ou militants de tous bords, au premier rang desquels M. François GUIFFARD, de la France Insoumise, avec lequel nous partageâmes des joutes mémorables. Las, de longs travaux furent entrepris, qui firent plonger la librairie; un appel aux dons permit de la sauver, et ce fut le premier incident qui m'opposa à M. SELLIER, lorsqu'il fanfaronna en conseil municipal que la somme nécessaire était réunie, ce qui était faux, et risquait de décourager les contributeurs, avant de s'en aller m'accuser de mentir lorsque je m'indignai de ses propos.

De ce jour, les libraires ne perçurent plus que sa silhouette fugitive, pressant le pas lorsqu'il devait s'aventurer à leur proximité.

Mais les furtifs sont rancuniers, et M. Daniel SELLIER attendit sa revanche, qui finit par arriver; de nouvelles difficultés se présentèrent, le bilan fut déposé, et l'activité poursuivie tant bien que mal; il s'en fallait de peu pour que l'esquif ne sombrât, et le pirate SELLIER s'y employa rageusement.

Le Furet du Nord devant s'installer tout à côté, de nouveaux travaux furent décidés. Pour mémoire, les Douaisiens ordinaires se voient interdire pendant plusieurs années de percer une chaussée neuve; le Furet du Nord n'étant pas un Douaisien ordinaire, on décida non seulement de perforer la chaussée neuve de la rue de la Mairie, mais de la bloquer aussi juste avant les fêtes de Noël pour couronner le tout. Et parce qu'il fallait que cela fût admiré de tous, on l'annonça fièrement par calicots accrochés aux barrières installées pour l'occasion. Et quelles barrières ! Les Douaisiens le savent, la rue de la Mairie est un sens unique descendant. Qu'à cela ne tienne : on installa aussi des barrières dans le sens de la montée, au cas où un étourdi eût l'idée singulière de remonter un sens unique en marche arrière. Idée singulière pour un citoyen ordinaire; mais M. Daniel SELLIER n'est pas plus ordinaire que le plus beau des Furets. Car ces barrières, c'est sa revanche, sa victoire, son triomphe : pas moins de deux barrières installées fièrement devant une librairie (La Charpente) et un bouquiniste-galleriste (La Baraque aux Arts), pour leur annoncer qu'ils peuvent aller se rhabiller, la concurrence va s'en charger...

Ce qui devait arriver arriva, et c'est champagne pour l'ombrageux M. Daniel SELLIER : la libraire renonça à sa poursuite d'activité, Mme la juge qualifiant la photographie de la barrière SELLIER jointe au dossier d'acte "odieux", ce qu'il est en effet. Le 24 décembre prochain, c'en sera fini, une nouvelle vitrine désolée fera fuir le chaland, avant que peut-être notre majorité municipale ne décide de racheter l'immeuble à prix d'or pour le louer à prix d'ami après des travaux effectués à prix de vermeil. 

On m'objectera sans doute que les barrières ne sont pas de la compétence de l'adjoint au commerce, mais de sa collègue chargée des travaux. C'est possible. Mais un adjoint au commerce qui s'invite dans des commissions relevant de la compétence de son collègue de l'urbanisme peut tout aussi bien s'intéresser à une simple barrière qui conduit à la ruine un commerçant dont l'existence relève bien de sa délégation. Et cet adjoint est qui plus est le premier, une marche vers l'Olympe. Et surtout, cette barrière, toute la ville en parle. Toute la ville, et la presse aussi, qui y a consacré pas moins de deux articles. Et les réseaux sociaux.

Et disons-le pour l'avoir constaté, cette barrière SELLIER n'est pas scellée. Pour preuve, elle tombe par jour de grand vent. Elle est chaque fois relevée. Ce dimanche 11 novembre, elle avait enfin été déplacée; je m'étais fendu d'un message destiné à notre adjoint au commerce -et le premier d'entre eux- pour le remercier de cet armistice. Naïveté digne d'un agneau de lait : la barrière est revenue, M. SELLIER s'y accroche, il veut son triomphe, la ruine et le chômage pour trois employés qu'il poursuit de sa hargne parce qu'ils prétendent exister. Cette barrière, il la couve : une Douaisienne m'assurait dimanche qu'elle l'avait vu samedi lové dans la moiteur d'un café tout proche, caressant d'un regard amoureux son chef d'oeuvre d'aluminium.

Soucieux d'exactitude, j'ai visité le profil Facebook de M. Daniel SELLIER; je me disais que peut-être, cet homme d'ordinaire si disert, vibrionnant sur les réseaux sociaux, y aurait glissé un mot de sympathie pour ces trois employés expédiés à Pôle Emploi. Parvenu sur sa page, mon coeur a bondi : le 6 novembre dernier, M. Daniel SELLIER achevait sa journée à 23h50 en partageant un appel à signer une pétition, à laquelle il manquait 3.857 signatures. Une pétition destinée au commerce de proximité ? Un appel à éviter les travaux perturbant les périodes de fêtes ? Une manifestation de soutien aux commerçants nargués par des barrières appelant à se réjouir de l'ouverture sur fonds publics de boutiques concurrentes ? Mon coeur battait déjà de reconnaissance.

Las... M. Daniel SELLIER appelait à faire, je cite, "de la lutte contre le sexisme et les LGBTQI-phobies la Grande cause nationale 2019"... 

Comprenons-nous : je n'ai rien de particulier contre les pétitions appelant à protéger des communautés opprimées. C'est souvent un peu facile, bien au chaud dans son salon, de cliquer à 23h50 pour signer une pétition. Mais c'est mieux que rien.

C'est mieux que rien, mais c'est beaucoup moins bien que de bouger l'auriculaire pour épargner à trois personnes qui seront le 24 décembre au chômage l'humiliation, le mépris, la condescendance, l'affichage hautain d'une toute puissance de carton qui n'existe que par sa capacité de nuisance, uniquement exercée au détriment des faibles.

J'ai compris, après six jours d'obstination narquoise de M. Daniel SELLIER, qu'il ne baisserait pas les bras, ni ne déplacerait sa barrière. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux, à sa barrière, car elle marque son territoire et borne son horizon.

Ce n'est donc pas à la morgue de M. Daniel SELLIER que je m'adresse, mais à Maître Nadia BONY : mon cher maître, il faut savoir être patiente; je vous ai enfin trouvé votre bras cassé. J'attends sans impatience vos envolées lyriques.

Et c'est aux Douaisiens aussi : je vous espère nombreux lors de la soirée d'adieu que La Charpente organisera. Pour que peut-être, de cet ultime rendez-vous, jaillisse une idée, une action, une méthode, une volonté de renouveau. Le livre ne peut pas mourir, la culture doit vivre, notre ville universitaire doit retrouver une partie au moins de ce qui fut jadis un très grand rayonnement. L'ami Amar MOUETTER a déjà une idée, d'autres en auront aussi.

Parce que tout simplement l'intelligence triomphe toujours des barrières imbéciles.

Franz QUATREBOEUFS.

La barrière Sellier, le mercredi 14 novembre à 19h30.

La barrière Sellier, le mercredi 14 novembre à 19h30.

A propos d'une barrière, et de Maître Nadia BONY.
A propos d'une barrière, et de Maître Nadia BONY.
A propos d'une barrière, et de Maître Nadia BONY.
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